jeudi 4 septembre 2014

Joseph Kessel "Les mains du miracle"



Dans ce récit, Joseph Kessel retrace la relation particulière qu'entretenait Himmler, chef des SS avec son médecin Félix Kersten.

Le livre débute par le parcours étonnant de cet homme que rien ne destinait à la médecine. Issu d'un milieu bourgeois aisé, il vit une enfance heureuse et choyée dans son Estonie natale qu'il quitte pour entrer dans une école agronome allemande. Lorsque la première guerre mondiale éclate, il devient sous-officier dans l'armée finnoise. Détestant l'armée et n'ayant aucune terre pour exercer ses fonctions d'agronome, Félix Kersten choisit de se diriger vers la médecine et plus particulièrement vers le massage. Pourvu de larges mains charnues et d'une grande sensibilité au bout des doigts, sa destinée le conduit vers le docteur Kô, médecin-lama, expert en sciences de guérison chinoise et tibétaine, venu en Allemagne pour se former à la médecine occidentale. Pendant trois années, le jeune Kersten devient son élève. N'ayant aucune source de revenu, il exerce différents petits boulots pour subvenir à ses besoins et poursuivre ses études. Au bout de ces trois années, le docteur Kô regagne le Tibet et lègue à son disciple son portefeuille de clients. De par sa formation atypique, sa grande bonté et les résultats étonnants qu'il obtient, le docteur Kersten connaît un vif succès, il compte même de grands industriels et certaines personnalités telles que la reine de Hollande parmi ses patients.

Fin 1938, un ami et patient du docteur lui demande d'examiner Heinrich Himmler, refusant dans un premier temps, il finit par consentir à le voir. Le chef SS souffre d'atroces maux d'estomac qu'aucun médecin ne parvient à lui soigner. Kersten masse et soulage Himmler devenant ainsi le docteur miracle du Reichsführer. Ce dernier fait appel de plus en plus régulièrement à lui et le fait même suivre dans ses déplacements. Les séances de massage se déroulent dans la plus stricte intimité, le docteur est à chaque fois seul avec Himmler. Vulnérable dans la douleur et dépendant des doigts d'or de son bon docteur, Himmler accorde sa pleine confiance à Kersten qui saisit cette opportunité pour demander la libération de prisonniers, l'annulation de déportations, de condamnations à mort... Au fil des années, le médecin conscient de sa capacité à influer sur les décisions du chef SS sauve des millions de personnes de la barbarie nazie.
Un personnage trop méconnu de l'histoire qui méritait d'être mis en lumière, Kessel a rendu compte de cette histoire incroyable en 1960. Les mains du miracle n'a été réédité que cette année par Gallimard. A lire de toute urgence, livre magistral !

"Kersten, à qui plus d'une fois, Himmler avait fait confidence de ses rêves, les mit au service de ses desseins. Il le fit d'abord avec précaution, par crainte de dépasser la mesure. Mais il s'aperçoit très vite que, tout en se défendant pour la forme, Himmler était heureux de l'entendre. De douce violence en douce violence à la vanité du Reichsführer, Kersten finit par lui dire avec cette intonation persuasive que les psychiatres emploient pour les fous :
- On parlera de vous dans les siècles à venir comme du plus grand chef de la race allemande, comme d'un héros de la Germanie, l'égal des anciens chevaliers, l'égal de Henri l'Oiseleur. Mais souvenez-vous qu'ils ne devaient leur gloire à leur seule force et au seul courage. Ils la devaient aussi à leur justice et à leur générosité. Pour ressembler vraiment à ces paladins, à ces preux, il faut être, comme ils l'étaient, magnanime. En parlant de la sorte, Reichsführer, je pense à vous, dans les siècles de l'Histoire.
Et  Himmler, qui avait une confiance absolue dans les mains de Kersten parce qu'elles avaient su deviner et apaiser son mal physique, accordait foi, maintenant, à ses louanges, car elles découvraient et calmaient en même temps son mal psychique.
- Cher monsieur Kersten, disait-il, vous êtes mon seul ami, mon Bouddha, le seul qui sache me comprendre aussi bien que me soigner."